
Éditorial : S’approprier le local en vue des résultats pragmatiques
Editorial: Possessing the local for pragmatic results
Sariette et Paul BATIBONAK
CRÉDIS et S&D
Les recherches des enseignants africains ont été longtemps considérées comme théoriques et peu ancrées sur des phénomènes sociaux avec pour objectif les mutations sociales. Les postures des chercheurs de ce continent laissent transparaître quelques bémols. Il est reproché à certains intellectuels d’avoir peu de publications scientifiques de qualité supérieures. Et les œuvres universitaires – articles, chapitres d’ouvrages, ouvrages individuels ou collectifs – s’avèrent peu nombreuses dans certains pays tels que le Cameroun (Mpinga et al., 2018). On évoque dans ce sens, la propension à publier rien que pour le passage de grades universitaires. Cet exercice, initialement à visée transformatrice des sociétés, est enveloppé par la course aux grades, aux postes, aux fonctions souvent administratives. La « nouvelle » pensée africaine choisit de procéder « autrement ». Une étude menée au sujet de la comparaison des publications par pays présente la place occupée par chaque groupe de chercheurs (Ibid.). Penser « autrement », est la conjecture scandée par les auteurs de ce numéro. Chacun, selon sa thématique, opte pour poser un problème concret.
La poussée urbaine amène à questionner les possibilités et modalités de développement durable en Afrique. Le problème est si crucial que le Sommet Africités a fait de la transition vers des villes durables le thème de l’édition 2018[1]. En effet, sous les coups de boutoir de la modernité, le traditionnel semble s’enliser progressivement, emportant avec lui les bonnes grâces de la relation étroite entre le naturel, la nature, la terre ou le sacré. Dans cette optique, Comlan Julien Hadonou et N’koué Emmanuel Sambieni s’efforcent de décrypter les rapports qui naissent des mutations sociales. La région de Tori, jadis fortement attachée à une agriculture, est adossée sur les valeurs endogènes, pour justifier la forte demande en produits agraires, en provenance des villes environnantes. Le savoir-faire social et surtout la capacité d’accepter les éléments diffus en provenance des autres aires culturelles et géographiques sont scandés par ces transformations sociétales. Il en ressort qu’une conciliation harmonieuse existe dans cette commune entre l’humain, le religieux et le foncier. Les plantes sont exposées dans leur double fonction à travers le quotidien de ces populations de Tori. En effet, les plantes destinées à l’alimentation de subsistance jouent un rôle pluriel. En dehors de leurs effets manifestes bien connus, ces produits contiennent des effets latents capables d’attirer les esprits. À cause de la surenchère admise par une urbanisation accélérée, un boom démographique et par certaines croyances pentecôtistes, la région va subir un changement radical sans précédent.
Le rejet de la médecine « traditionnelle » rappelle un tournant par rapport aux origines. En fait, on constate une déconsidération de cette thérapie et une sorte de mépris de la société actuelle au point où elle est taxée de médecine dite non conventionnelle. Pourtant, selon l’histoire, et même en cette décennie 2010, ses prouesses ne sont pas à démontrer. Jean Paulin Mengué Me Ndongo indique comment le développement de l’industrie a favorisé l’essor de l’industrie pharmaceutique et a contribué à tuer l’intérêt jadis observé pour la médecine locale (Batibonak et Batibonak, 2017). Le triomphalisme de la médecine moderne demeure un frein à l’essor des acteurs locaux qui peinent à développer l’itinéraire des soins qui leur est propre. Ce rejet est avalisé par les gouvernements qui ne manquent pas de s’introduire insidieusement dans les façons d’« agir et de penser » des acteurs en société. Lorsqu’on parle de système de santé, il est noté une ignorance du pan local des itinéraires thérapeutiques. On convoque à cet effet un double regard, un divorce, une distance entre les deux formes de médecine ou une mise en commun pour plus d’efficience.
La crise économique des décennies 2000 et 2010 et la baisse du pouvoir d’achat ont régénéré un espoir dans la reconsidération de cette médecine. On note une réelle volonté de retour aux sources. Il se pose en ce moment un problème de qualification et d’efficacité des acteurs en œuvre dans ce secteur. Ce contraste a priori bien fondé entre les deux médecines met à l’épreuve la capacité d’adaptation de l’une au détriment de l’autre. Il devient possible d’invoquer une complémentarité des deux thérapies dans l’élaboration des politiques de santé publique par les États africains. C’est un cri de cœur lancé à l’endroit de tous les acteurs de la chaîne de santé pour une préservation de ce patrimoine ancestral en voie d’étouffement par des mobiles modernes et la négligence de ses propres acteurs (Debussman, 2003).
La problématique des modèles de développement conçus ailleurs pour une application locale préoccupe à plus d’un titre le monde en développement et la science en particulier. D’après le constat établi, l’objectif escompté est rarement atteint ; mais l’on s’entête à demeurer tributaire de telles manœuvres. La faisabilité de ces projets, surtout en leur phase exploratoire, reste à questionner en ce sens qu’elle ne prend pas en compte les réalités et les spécificités locales. L’illustration de la gratuité de l’enseignement au Togo est une mesure fort opportune pour l’État soucieux de répondre à une exigence internationale, sans balayer au préalable les contours de sa mise en œuvre.
Références du document
Titre : Revue Africaniste Inter-Disciplinaire – RAID
Title : Africanist Inter-Disciplinary Review – AIDR
Numéro : 2, 4ème Trimestre, décembre 2018
Number : 2, 4th Term, december 2018
Pages : 200 pages
Dimensions : 15,5 x 24 cm
Langues : Français – Titres et résumés en Anglais
Coordonnateurs : Sariette et Paul Batibonak
Éditions : Monange
Région : Yaoundé, Cameroun
Prix : 7.500F CFA – 15€
Vente : Afrique – Europe – États Unis
Disponible : Librairie Peuples noirs – Livraison à domicile – Facture réglée par Orange Money +237696672562
ISBN : 978-9956-655-02-1
Publication : 28 décembre 2018